Luca Giordano au Petit Palais

Un nom peu connu en France, mais Luca Giordano (1634-1705) est un peintre qui vaut le détour. Le Petit Palais propose la première rétrospective consacrée à ce peintre baroque napolitain.

Fils de peintre, Luca Giordano démontre très jeune ses prédispositions artistiques. L’histoire dit ainsi qu’il aurait dessiné des chérubins sur une œuvre de son père et celui-ci aurait décidé de le former. Un talent pareil, ça ne se gâche pas. L’adolescent a à sa disposition des estampes, et notamment celles de l’artiste allemand Albrecht Dürer (1471-1528), ce qui lui donne une culture. En plus d’un enseignement technique dans l’atelier de son père, Luca voyage. Il se rend à Rome dans les années 1650. C’est une révélation, il découvre l’art de Pierre de Cortone (1596-1669) et de Raphaël (1483-1520) qui deviennent ses principaux modèles durant les premières années. La peinture vénitienne influence aussi l’esthétique de Giordano, notamment Titien (1488-1576), Tintoret (1518-1594) et Nicolas Poussin (1594-1665) qui incarnent des références importantes pour lui, sans oublier Rubens (1577-1640) qui le marque également.

tableau de Giordano représentant le Christ devant Pilate
Le Christ devant Pilate se lavant les mains, 1655

Les autoportraits de l’artiste vous accueillent dans la première salle. La modernité de ses tableaux est frappante. Ses premières œuvres révèlent son talent. Je trouve toujours impressionnant de voir que certains tableaux ont été conçus par l’artiste alors qu’il n’avait pas encore 20 ans. Son père le surnomme « Fa presto » car il peint vite, très vite. Il réalise un peu plus de 5000 œuvres. Une prouesse ! Il aime également les grandes surfaces : tableaux immenses et gigantesques décors d’églises forment la majorité de sa production. Le Petit Palais -en partenariat avec le musée de Capodimonte à Naples– vous propose de découvrir une partie de cette impressionnante production à travers une sélection de 90 œuvres.

autoportrait de l'artiste avec des lunettes
Autoportrait, 1688

Puis ce sont les grands sujets qui vous attendent : le jeune artiste connaît rapidement le succès. Les commandes s’enchaînent, elles viennent de Naples, et d’ailleurs. Le contexte est favorable au peintre : Naples est une des villes les plus importantes d’Europe et le monde chrétien vit une période notable de son histoire, celle de la Contre-Réforme. L’Église romaine triomphe : elle s’affirme en tant qu’intermédiaire entre le fidèle et le divin. Elle a donc un grand besoin d’images. Qui dit images, dit commandes. Les artistes conçoivent quantité d’anges, de saints, de vierges pour éduquer le regard et inciter à la contemplation collective dans les lieux de culte. Les peintures des églises romaines sont marquées par une esthétique magistrale et lumineuse.

À Naples, l’ambiance est plus intime : c’est une pratique individuelle qui est mise en avant par les ordres monastiques en place. La dévotion personnelle incite donc les artistes à réaliser des œuvres de taille modeste. L’univers est également plus sombre. Couleurs et motifs reflètent les tendances napolitaines. Celles-ci encouragent à représenter les aspects douloureux de la condition humaine. Le peintre ténébriste espagnol José de Ribera (1591-1652) connaît alors un franc succès. Il sera une école pour Luca Giordano. Les deux artistes choisissent des mendiants et des parias pour réaliser les portraits de saints ou de philosophes. À l’époque, deux philosophies antiques sont de nouveau étudiées : le stoïcisme et le cynisme. Elles prônent une vie simple, où tout bien superflu est donc à bannir. Ce renoncement matériel serait ainsi le meilleur chemin vers le salut.

Au cours des années 1650-1660, Luca Giordano oriente son esthétique vers le baroque et délaisse le ténébrisme. La lumière et les couleurs chaudes reviennent avec force. Les œuvres figurent des scènes où nous sommes partie prenante, comme si le peintre nous intégrait. Sans oublier la stimulation des sens grâce aux Vénus et autres femmes de la mythologie gréco-romaine. Les commandes ne sont plus destinées uniquement aux églises, mais aussi aux palais aristocratiques. Les artistes passent ainsi des œuvres religieuses aux motifs profanes pour séduire le spectateur, devenu voyeur face à ces corps nus.

Luca Giordano continue de plaire, il est d’ailleurs invité par le roi d’Espagne pour orner une salle de l’Escurial. Un succès ! Il reste une dizaine d’années en Espagne et répond à plusieurs commandes de grands décors. Giordano revient à Naples en 1702. Il réalise alors ses derniers décors dont l’expressivité est impressionnante (l’artiste peint régulièrement avec les doigts), avant de s’éteindre trois ans plus tard.

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