Nouvel article consacré au Japon et au japonisme dans le cadre de Japonismes 2018. Retrouvez le premier article consacré à ce sujet ici. Bonne lecture !
L’influence de l’estampe japonaise en France
La primauté de la nature chez l’artiste japonais (Hokusai et Hiroshige entre autres) aura un impact irréversible sur les esprits contemporains, notamment les Occidentaux. En effet, face au développement conséquent de l’industrie et des centres urbains, plusieurs théoriciens et acteurs de l’art industriel ont voulu se réfugier auprès de cette nature que l’Homme moderne a tenté de fuir ou de contrôler. C’est à partir de ce moment que les Occidentaux se sont intéressés à cette vénération de la nature et à repenser le rapport qu’ils entretenaient avec elle, notamment dans le secteur artistique.
Les récits de voyageurs en Extrême-Orient ont tenté de présenter cet attachement pour la nature tout en l’idéalisant et ont montré une admiration sans borne pour ce peuple vu alors comme un peuple complètement préservé de l’industrie et des machines. Le Japon, depuis la découverte de son existence, a toujours fasciné les Occidentaux. Consumés par une vive curiosité, quelques voyageurs ont effectivement tenté le périple vers la terre nippone, parfois de manière illégale. Ces voyages sont à l’origine de la diffusion des œuvres et des motifs japonais. Parmi les diplomates de la première mission française (1858) dirigée par le baron Gros, Charles de Chassiron se procure un lot important d’estampes japonaises le 6 octobre 1858 à Edo (ancienne Tokyo). Il les publie en décembre 1861 dans ses Notes sur le Japon, la Chine et l’Inde, diffusant ainsi des reproductions scientifiques de la Manga d’Hokusai pour la première fois en France.
Au XIXe siècle, les artistes parisiens ont pu découvrir les estampes japonaises à partir de 1861, année où une boutique, La Porte Chinoise, en vendit pour la première fois. Le déferlement d’œuvres japonaises est dû à l’initiative des clans nippons dans un premier temps, puis ensuite du gouvernement japonais, qui ont décidé de contrôler les exportations d’œuvres pour le commerce et pour les grandes manifestations telles que les expositions universelles. Par crainte d’être traité en colonie, le gouvernement japonais a su s’investir sur la scène internationale et commerciale.
Japonisme et recueil d’ornements
Dans une véritable euphorie, le goût pour le Japon se répand en Europe comme une traînée de poudre et investit toutes les catégories de production artistique. Dès l’apparition des estampes japonaises sur le marché parisien, certains auteurs s’approprient ce nouveau répertoire décoratif et le diffusent sur le territoire français.
Existant depuis la Renaissance, les recueils d’ornements sont destinés aux artistes et conseillers techniques dans les manufactures. Ce type de publication leur propose divers modèles à étudier ou à reproduire. Ces ouvrages achetés par les manufactures ont constitué une documentation visuelle primordiale et ont agi comme véritable promoteur du japonisme au sein des ateliers de décoration. Parmi les ouvrages utilisés comme recueils d’ornements par les ateliers et manufactures, citons le Recueil pour l’art et l’industrie d’Adalbert de Beaumont et d’Eugène Collinot (1859-1873) et L’Art pour tous d’Émile Reiber (1877).
Le Recueil pour l’art et l’industrie est par ailleurs le premier projet éditorial diffusant sciemment des motifs japonisants après la ré-ouverture des frontières. En janvier 1860, Adalbert de Beaumont a eu en effet la possibilité de faire des esquisses des collections du baron Gros, récemment revenu de la signature du traité de paix et de commerce avec le Japon. En août 1861, le Recueil pour l’art et l’industrie diffuse ainsi plusieurs planches de motifs japonais issus de la Manga d’Hokusai. L’État établira par ailleurs une souscription à cet ouvrage qui sera envoyé dans plusieurs écoles d’art industriel gratuites de province (Nancy, Bordeaux, Limoges, etc.).
Les années 1880-1890 voient quant à elles le développement des écrits spécialisés sur l’art japonais et correspondent à une véritable démarche intellectuelle et sensible, comme le périodique Le Japon artistique de Siegfried Bing (1888-1891), L’Art japonais de Louis Gonse (1883) ainsi que la monographie d’Hokusai rédigée par Edmond de Goncourt (1896).
Japonisme et arts décoratifs
Le « Service Rousseau », bien connu des spécialistes, connaît depuis sa présentation à l’Exposition universelle de 1867, un important retentissement. Le modèle du décor a été conçu par Félix Bracquemond, figure éminente du renouveau de la gravure à l’eau-forte en France. Le service conçu à la demande de l’éditeur-marchand François-Eugène Rousseau a été édité pendant 80 ans par la faïencerie de Montereau. Ce service est par ailleurs souvent considéré comme étant le premier exemple de japonisme en France. Les motifs employés sont issus de la Manga d’Hokusai, de la série des Grands poissons d’Hiroshige et des œuvres de Bracquemond (antérieures au traité de commerce franco-japonais). L’intérêt et le succès de cette production résident dans son parti-pris de la composition construite par des séquences de trois motifs variés ainsi qu’un attachement pour un rendu expressif. La grande capacité de diversification du service, par son aspect rustique et ses motifs touchants, presque humoristiques, ont fortement plu à une clientèle bourgeoise. Le dernier critère ayant assuré le succès au service est son prix raisonnable, dû notamment aux techniques employées (faïence fine, décor par impression monochrome et rehauts de couleurs par les ouvriers). Rousseau écoute et répond aux attentes du consommateur : il prend le rôle d’un intermédiaire entre la manufacture et le client. L‘initiative des projets lui revient. Les artistes, avec une part relative de liberté, interviennent comme conseillers techniques. Le service Rousseau incarne l’aboutissement des recherches plastiques de Bracquemond. Sa démarche était de transmettre une véritable expressivité à ces motifs et à obtenir un rendu harmonieux par son unité. Le motif japonais sert ici de prétexte expérimental à un artiste moderne. Ce n’est pas tant le goût de Bracquemond pour une nouvelle culture qui domine ici, c’est son besoin de trouver l’élément confortant ses recherches.
Les protagonistes de la diffusion du japonisme ont toujours, volontairement ou non, exercé un regard particulier sur l’art japonais. Ce regard expérimental, parfois naïf ou idéaliste, les a poussées à s’approprier cette esthétique avant de bouleverser leurs propres concepts artistiques. Dans le cadre des fabriques de faïences et de porcelaines, il est certain que le succès engendré par les productions japonisantes a permis un indéniable profit aux manufactures. Cependant, il ne faut pas oublier que les directeurs de ces établissements ont eu l’ambition de revivifier l’art industriel. Les nombreuses expositions d’art et d’industrie, ainsi que les Expositions universelles le prouvent.
Pour en savoir plus :
- Lambourne Lionel, « Japonisme : échanges culturels entre le Japon et l’Occident », Phaidon [Londres], Paris, 2006.
- Omoto Keiko et Macouin Francis, « Quand le Japon s’ouvrit au monde », Paris, Gallimard-Rmn, 1990.
- Wichmann Siegfried, « Japonisme », Chêne Hachette, Paris, 1982
- « Le Japonisme », cat. exp. (Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 1988 ; Tokyo, Musée d’art occidental, 1988), Paris, Éd. De la Réunion des Musées Nationaux, 1988.
- « Satsuma : de l’exotisme au japonisme », cat. exp. (Sèvres, musée national de la céramique, 2007), Paris, RMN ; Sèvres, musée national de la céramique, 2007.
- Vidéos et thèse en ligne de l’autrice de l’article