Japonismes 2018
Depuis une quarantaine d’années, les expositions ayant souligné l’impact esthétique et technique de l’art japonais sur l’art français sont nombreuses et témoignent de la richesse des travaux récents sur la question. Cet engouement tant médiatique que scientifique fut notamment relancé par l’importante exposition Japonisme de 1988 au Grand Palais. Depuis, les nombreuses publications et expositions ont souligné régulièrement l’apport notable de l’esthétisme japonais dans la production des artistes. En 2018, nous célébrons le 160e anniversaire des relations diplomatiques et commerciales entre la France et le Japon. Une importante manifestation culturelle lui rend hommage : Japonismes 2018 ! De nombreuses expositions et manifestations culturelles sont proposées à cette occasion. L’exposition de Giverny en est un des nombreux exemples.
Et pour l’occasion, je voulais vous parler du japonisme, et plus particulièrement de l’artiste japonais Hokusai (1760-1849).
L’art français entame un bouleversement sans précédent avec l’arrivée de l’art japonais durant la seconde moitié du XIXe siècle. Les estampes, nombreuses sur le marché et ne coûtant presque rien, ont un rôle primordial dans les milieux artistiques. Les estampes sont le résultat de l’impression d’une gravure. Les artistes français ont trouvé de nombreuses solutions plastiques grâce à l’iconographie, la composition ou le style japonais : l’utilisation des aplats de couleurs, la dissymétrie, la construction en diagonale, la disparition des ombres, la vision des personnages de dos et l’usage de lignes simplifiées et fluides en sont des exemples. C’est de cette influence qu’est né le japonisme, courant complexe et vague, et qui s’est développé au sein des groupes d’artistes ayant rejeté les normes artistiques de leur temps. Ce n’est pas dans les milieux académiques, mais dans celui des artistes et écrivains les plus modernes, celui des réalistes, des impressionnistes et des naturalistes par exemple, que l’on trouve les japonisants. Hokusai fut l’artiste le plus admiré de ces cercles artistiques.
Hokusai, le fou de dessin
Hokusai reste un des maîtres de l’estampe les plus connus à ce jour en Occident. Personnalité extrêmement riche, ce véritable « fou de dessin » (Gakyôjin) laisse une quantité inimaginable d’œuvres après une carrière prolifique et longue de 70 ans. Sur la centaine de signatures qui nous sont parvenues, six noms correspondant aux six plus importantes phases de sa carrière ont été choisis. En effet, à chaque moment clé de sa carrière artistique, et comme il est d’usage au Japon, Hokusai adopta un nouveau nom.
Bien qu’universellement reconnu aujourd’hui, sa jeunesse et sa formation sont communément admises par la communauté scientifique. Hokusai est né en 1760 dans un faubourg d’Edo (ancienne Tokyo). Orphelin à l’âge de trois ans, il aurait été adopté par un fabricant de miroirs qui lui aurait permis de révéler ses aptitudes pour le dessin. À l’adolescence, il aurait effectué son apprentissage chez un xylographe, s’initiant ainsi à la technique de la gravure sur bois. C’est à l’âge de 18 ans qu’il devient dessinateur et commence sa production au sein de l’atelier de Katsukawa Shunshô (1726-1793) : Hokusai prend ainsi le nom de Katsukawa Shunrô (1778-1794). Il parvient très tôt à exprimer son goût pour l’observation de l’homme. Son approche, parfois teintée d’un sens critique et humoristique, suggère l’ironie aimable de l’artiste envers l’Humanité. Le contexte est alors favorable à sa créativité : Edo, alors en plein épanouissement démographique et économique, connaît une importante vitalité artistique qui se concrétise notamment dans la production d’ukiyo-e « images du monde flottant ». C’est grâce à ce type de production très populaire qu’Hokusai deviendra un des maîtres les plus célèbres. Il produit dans un premier temps de nombreuses estampes bon marché, notamment des portraits d’acteurs de kabuki, des illustrations de livres et des cartes de vœux (surimono). C’est à cette époque qu’il adopte le nom de Sôri (1794-1805) puis de Katsushika Hokusai (1805-1810).
C’est sous le nom de Taitô (1810-1819) que l’artiste commence la Manga. Ce recueil de dessins spontanés en quinze fascicules publiés entre 1814 et 1878 reste un des manuels d’apprentissage du dessin les plus célèbres depuis sa réalisation. En 900 pages et 4.000 motifs, Hokusai représente notre monde qu’il soit humain, animal ou végétal, réel ou imaginaire en enchaînant de manière aléatoire les croquis.
Les estampes de paysages
Doué d’une curiosité artistique insatiable, Hokusai pratique tous les genres traditionnels tout au long de sa carrière avant d’offrir à l’art de l’estampe japonaise les grandes séries de paysages ayant contribué à sa postérité. L’attention nouvelle pour une nature sublimée au fil des saisons offre des sujets privilégiés pour de nombreux artistes japonais. Que ce soit en se promenant ou en parcourant les routes de pèlerinage, les Japonais s’adonnent à cette contemplation méditative des éléments de la nature, renouant ainsi avec un shintô imprégné de pratiques culturelles ancestrales en honorant notamment les kami, esprits divins dont le culte peut être rendu près d’une rivière ou d’une montagne. Dès lors, les loisirs du peuple sortent du cadre strictement urbain et se voient retranscrits dans les estampes. Cette transformation du quotidien est aussi liée aux politiques de censure du shogunat des Tokugawa qui multiplie les édits interdisant les estampes érotiques (shunga), la représentation nominatives de courtisanes et les grands portraits en buste. Ces changements entraînent une remise en cause des sources d’inspiration chez les artistes. Ainsi, c’est dans l’estampe de paysage qu’Hokusai, devenu Litsu (1820-1834) choisit de s’exprimer. C’est de cette période qu’il conçoit ses ukiyo-e les plus célèbres : les Trente-six vues du Mont Fuji et ses peintures de fleurs et oiseaux (kacho-ga).
Hokusai choisit de décliner le volcan sacré sous différentes formes dans ses estampes. Il le représente sous de multiples points de vue, avec des lumières variées et des atmosphères changeantes. L’apport raffiné du bleu de Prusse, récemment introduit au Japon par les Hollandais, révèle également l’engouement de l’artiste pour ce colorant artificiel. La montagne est par ailleurs valorisée par les divers cadrages ou au contraire tend à s’effacer au profit d’un horizon lointain pour mettre au premier plan l’activité humaine. Ainsi, les paysages qui étaient jusque-là des éléments anecdotiques de la composition deviennent des sujets en soi. Hokusai saisit cette nouvelle appréciation shintoïste de la nature et la sublime à travers l’estampe. Face au succès de ces productions, les éditeurs multiplient les commandes des sites célèbres et des vues des villes et provinces du Japon (meisho-e). La mode des guides touristiques illustrés destinés à un public de plus en plus large désireux de visiter les sanctuaires et sites célèbres du Japon prend le relais sur celle des estampes de kabuki. Bien que connaissant le succès de son vivant, Hokusai connaît une vie tumultueuse et changeante. En 1839, un incendie détruit sa maison ainsi que son matériel et ses œuvres. À partir de ce moment, et jusqu’à la fin de sa vie, Gakyô Rôjin Manji (1834-1849) se désintéresse de l’estampe et s’adonne essentiellement à la peinture, notamment de divinités et de figures protectrices.