Quelle personnalité intrigante ce Greco (1541-1614). Il est Grec, sa touche doit beaucoup à la peinture italienne et il passe la majorité de sa vie en Espagne. Cela faisait longtemps que la France n’avait pas rendu hommage à cet artiste. L’exposition qui se tient jusqu’au 10 février 2020 au Grand Palais présente ainsi l’histoire et le style de ce créateur paradoxalement traditionnel.
Revenons aux origines. À la Grèce en l’occurrence : Greco, de son vrai nom Doménikos Theotokópoulos, naît en Crète en 1541. Un document datant de 1563 atteste qu’il est « maître », c’est-à-dire qu’il a terminé sa formation de peintre. Il a donc 22 ans. Les premières œuvres du créateur sont très marquées par l’art des icônes byzantines. L’art en Crète est alors empreint de cette production traditionnelle. Nous ne connaissons pas les raisons de son départ pour Venise : obtenir plus de commandes ? Apprendre un autre style ? Faire sa vie ailleurs que dans sa ville natale ?
Ce qui est certain, c’est que la Crète est alors sous protectorat vénitien. Aussi, Greco entreprend le voyage pour la Sérénissime et débarque avant l’été 1568. Un nouveau monde s’offre à lui, un nouveau style surtout. Nous ne savons pas s’il suit une formation particulière, juste qu’il se présente comme « disciple de Titien ». Rien n’atteste qu’il est fait partie de l’atelier de ce dernier, qui a alors 80 ans. Greco reste 2 ans à Venise. Il y apprend la touche vénitienne, une manière de peindre qui est à sa maturité : la touche semble spontanée et vigoureuse, sans oublier les couleurs sensuelles qui alternent entre le sombre et la clarté. Dans ces tableaux, le motif généralement foncé -souvent nocturne- est ainsi transpercé par des traits lumineux.
Greco apprend ainsi la touche picturale spécifique à la peinture vénitienne. Il se forme également à la technique de la peinture à l’huile, ce qui lui permet de peindre grâce à des superpositions de glacis. Les glacis favorisent la création d’un style vibrant et de travailler les détails (l’huile sèche lentement). Greco s’initie aussi à l’art du portrait et à la manière de représenter la perspective, ce qui l’éloigne de la peinture d’icône.
Portrait d’un architecte, 1575 Cardinal Fernando Niño de Guevara, 1600
Cette deuxième formation achevée, et grâce à la recommandation d’un ami graveur, il quitte la cité des Doges et rejoint Rome. La ville éternelle est alors la capitale artistique du monde chrétien. Un lieu idéal pour apprendre de nouvelles choses telles que la représentation de l’Antiquité et l’art de Michel-Ange (1475-1564). Greco est logé dans le palais du cardinal Farnèse, et il y rencontre plusieurs intellectuels et humanistes. Mais le problème de Greco, c’est son caractère. Il n’hésite pas à critiquer Michel-Ange. Pire que tout, il suggère au prélat de repeindre le plafond de la chapelle Sixtine. Le culot ne fonctionnant pas à tous les coups, le cardinal renvoie Greco.
Le plus intéressant dans cette histoire est l’influence incontestable de l’artiste romain sur Greco. Il adopte la touche expressive puissante de Michel-Ange et le mêle à son interprétation de l’art vénitien, qui doit plus au Tintoret (1518-1594) qu’à Titien (1488-1576). Le style de Greco arrive doucement à sa maturité : un mélange d’influences typiques de la Renaissance.
Piéta, 1570 Le partage de la tunique du Christ, 1579 Saint Martin et le mendiant, 1597
Greco ne reste pas longtemps à Rome. Il peine à obtenir des commandes et il ne pratique pas l’art par excellence de la ville aux sept collines : la fresque. Il choisit Madrid, jeune capitale de l’Espagne. Greco parvient à se rapprocher du souverain Philippe II qui lui demande une œuvre pour l’Escurial, un complexe gigantesque regroupant monastère, palais, bibliothèque et tombes royales. Lorsque Greco présente son tableau, le roi est déçu. Il ne fera plus appel à l’artiste.
De nouveau en quête de commanditaires, Greco quitte Madrid et rejoint Tolède en 1577. La ville est alors une véritable capitale historique et artistique. Le peintre y trouve de nombreux clients désireux d’avoir un portrait et surtout des petits tableaux de dévotion. Étonnamment, Tolède a peu de créateurs dans ses murs, ce qui fournit ainsi un vivier incroyable au Greco.
Greco ouvre un atelier à Tolède, y forme notamment son fils, et connaît le succès. La fin de sa vie est plus difficile : en raison de son caractère et des impayés de plusieurs clients, Greco se ruine en procès. Il décède en 1614 et tombe dans l’oubli. Quelques artistes modernes comme Manet et Picasso lui rendent un vibrant hommage, ce qui contribue à le mettre dans la case des « artistes modernes ».
L’Annonciation, 1600-1605 Sainte Marie-Madeleine pénitente, 1576